Sandrine Bonnaire : “Il ne faut pas trop se montrer, sinon ça peut lasser les gens"

Une interview est parfois une délicate machine à remonter le temps, entre souvenirs d’une famille soudée et secrets maternels plus douloureux. La comédienne est à l’affiche de "Trois jours et une vie",film sur une enfance brisée, en salles le 18 septembre. La sienne fut belle.

« Allô, Sandrine ? »Le vent claque dans le téléphone comme une voile de navigateur solitaire. Sandrine Bonnaire est en vacances en Charente avec plusieurs de ses frères et sœurs, entourant une mère qui, on le pressent, grappille d’intenses moments de chaleur, fruits d’une fraternité familiale intacte. Sandrine est à la plage et on imagine son visage au grand sourire, ses fameuses fossettes et ses yeux sombres.

Il faudrait sans doute plus de trois jours pour raconter une vie, la sienne, agrégat d’heureux hasards qui ne doivent rien à la lignée chanceuse de « professionnels de la profession » qui se font la courte échelle de mère en fille, de père en fils, de mère en fils, de père en fille… Lorsque Sandrine Bonnaire se met à parler, à l’occasion de la sortie du sensible et prenant Trois jours et une vie, tout ici est clair, simple et beau, sans aucune circonvolution narcissique. Sandrine bonheur.

Marie Claire : Dans Trois jours et une vie, vous êtes la mère qui comprend que son fils a tué un autre enfant mais se refuse par ses silences de le dénoncer. À sa place, comment auriez-vous réagi, vous qui êtes vous-même mère de deux filles ?

Sandrine Bonnaire : Je me suis posé la question… A priori, j’aurais tendance à penser que j’aurais poussé ma fille à se rendre à la police, mais en même temps, avouer, c’est se savoir condamnée à de longues années de prison. Tuer sans être pris est une fuite en avant qui vous condamne à la prison mentale. Je me demande si ce n’est pas pire de vivre dans le remords.

Le film pose la question de savoir s’il est possible ou non d’échapper à sa destinée. Avez-vous le sentiment d’avoir échappé à la vôtre ou pensez-vous, avec le recul, que quelque chose devait se passer dans votre vie ?

Je crois qu’inconsciemment, j’avais besoin d’une reconnaissance artistique. Depuis mon plus jeune âge, je dansais, je chantais beaucoup devant le miroir. J’étais fan de Brigitte Bardot, j’avais plein de posters d’elle sur mes murs. J’étais très exubérante. J’étais très attirée par ce monde-là, même si j’ai commencé ce métier totalement par hasard, sans chercher à devenir actrice. Ce qui est sûr, c’est que le cinéma a changé mon destin, ça c’est clair ! (Elle rit.)

Vous vous prépariez à passer un CAP de coiffeuse, comme avant vous Fabrice Luchini ? 

(Elle rit.) C’est pas vraiment ce que je voulais faire, mais à cette époque, pour les filles qui n’étaient pas bonnes à l’école, il n’y avait pas beaucoup de débouchés et on n’orientait pas tellement les élèves comme on peut le faire aujourd’hui.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance à Grigny ?

Je me souviens de mon petit tricycle sur lequel je pédalais comme une folle et que j’adorais. J’ai eu une enfance assez joyeuse, assez mouvementée aussi parce que onze enfants, ça fait beaucoup de chahut. On dormait à plusieurs par chambre, mais ça créait des moments très joyeux. Je partageais la mienne avec deux de mes sœurs. On avait nos secrets, notre musique. Parfois, c’était le boxon parce que l’une voulait écouter tel disque et l’autre pas, Corinne était fan de funk, Lydie, de Cat Stevens, d’Higelin…

Vous êtes toujours proches entre vous, les frères et sœurs Bonnaire ?

Oui, très. Nous sommes d’ailleurs pas mal à être présents, là en Charente, entourant notre mère du maximum de tendresse. Maman n’est plus très jeune.

Elle est toujours témoin de Jéhovah ?

Oui, toujours, et c’est ce qui la fait encore tenir parce qu’elle rencontre des gens qui partagent sa croyance. Je respecte ses choix, sans y croire pour autant.

Où en est votre projet de film sur l’identité ?

Ça avance, mais un projet, c’est long à monter. Le scénario part d’un déni de grossesse et puis rebondit avec une naissance sous X. La question que soulèvera le film est comment se construire lorsqu’on ne connaît pas ses racines. C’est parti des origines de ma mère et d’un texte de la comédienne Isabelle de Hertogh, elle-même née sous X. Ma mère m’avait donné cent pages à lire dans lesquelles elle décrivait sa vie. Elle revenait sur un épisode douloureux.

Je me nourris beaucoup de ma maman, parce que ça a toujours été une battante.

Lequel ?

Elle a été coupée de sa propre mère à l’âge de 12 ans car celle-ci n’était pas forcément douée pour l’élever. Ma mère a passé trente ans à la chercher, elle l’a retrouvée et à peine avaient-elles renoué qu’elle est morte. Le fait de la perdre à nouveau, mais cette fois définitivement, a été une tragédie pour elle.

Votre mère semble jouer un rôle très important dans votre vie.

C’est vrai que je me nourris beaucoup de ma maman parce que ça a toujours été une battante. Elle n’a jamais eu peur de rien et dans son parcours de vie, il y a plein d’histoires inspirantes pour moi. Je l’admire. Elle est aussi dans l’admiration de ce que je suis devenue. Je crois qu’elle aurait bien aimé jouer, ou écrire.

Et vous, que transmettez-vous à vos filles ?

La grande a envie de réaliser des films, je l’encourage vraiment. On a d’ailleurs monté une boîte de prod toutes les deux. On verra ce que ça va donner… On va commencer par produire le documentaire que je fais sur mon compagnon (le trompettiste de jazz Erik Truffaz, ndlr). Ma seconde fille entre au lycée, elle a le temps de voir venir…

Au moment de votre précédente séparation, vous avez déclaré ne plus vouloir vivre avec quelqu’un, et Erik Truffaz est arrivé…

Mais être avec quelqu’un ne veut pas forcément dire vivre avec…

Comment l’avez-vous rencontré ?

Je suis allée le voir à l’Olympia parce que j’adore ce qu’il fait. J’ai eu envie de l’appeler pour qu’il fasse la musique de mon premier long métrage. Et au même moment il m’a contactée pour un projet de lecture en musique. Le hasard a bien fait les choses.

 On ne vous voit pas si souvent au cinéma. Est-ce parce que l’on ne vous propose pas des scénarios aussi formidables que ceux de Pialat, Varda, Sautet ou Chabrol ?

Vous parlez d’une époque révolue… Il y a encore de bons metteurs en scène, mais il y a quand même un affaiblissement de la qualité. Je lis beaucoup de mauvais scénarios. Pas si souvent de très bons.

Des comédiennes surgissent, connaissent le succès puis disparaissent peu à peu, englouties dans l’oubli. Vous, non, vous ne jouez pas trop, mais vous faites partie du paysage.

Je pense qu’il ne faut pas trop se montrer, sinon ça peut lasser les gens. Et puis c’est pas du tout mon truc de faire trois films par an. J’ai besoin de me ressourcer régulièrement pour retrouver le souffle de jouer. J’aime bien prendre du temps pour ma vie, pour mes proches, pour me ré-énergiser. Rester chez moi et m’occuper des choses de la vie, faire mon marché, faire du sport… J’aime bien le quotidien de la vie. Bon, je ne suis pas dupe : je l’apprécie parce que je sais que je le quitte par moments.

À la disparition d’Agnès Varda, vous avez déclaré : « C’est Varda qui m’a fait exister. Ce n’est pas Maurice Pialat. »

Pialat m’a découverte, Varda m’a fait exister. J’ai été une fleur cueillie par Pialat. Varda a fait de moi un arbre. C’est Sans toit ni loi qui m’a enracinée dans le métier. J’aurais pu disparaître, ne pas durer, car après À nos amours, j’avais fait trois films moyens.

Vous avez été violemment agressée par un homme il y a presque vingt ans. Que vous inspire la vague #MeToo ? On ne vous a pas entendue.

Je suis solidaire des femmes victimes de violences qui n’ont pas les moyens de se défendre. Pas des autres. Parmi les dénonciations médiatisées au moment du pic de #MeToo, je n’ai pas du tout aimé certains discours manichéens. Je me méfie des vagues de bons sentiments, ces effets de masse qui partent dans tous les sens. Il y a de bonnes choses et d’autres mauvaises là-dedans et je n’ai pas envie de m’associer à ça.

Je suis sereine, dynamique, joyeuse, joueuse, audacieuse. (…) La vie est plutôt jolie en ce moment.

Comment est Sandrine Bonnaire aujourd’hui ?

Regardez les photos, vous avez la réponse. La photographe montre bien comment je suis en ce moment. Sereine, dynamique, joyeuse, joueuse, audacieuse. Je ne suis pas très bonne pour poser, je me sens toujours empêtrée, mais cette fois, j’ai eu le sentiment que la photographe me connaissait humainement, comme si elle m’avait déjà rencontrée. C’est vraiment moi. La vie est plutôt jolie en ce moment.

Un entretien à retrouver dans le numéro 806 de Marie Claire

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