Black Models Matter : pour que les mannequins noirs comptent aussi

Tandis que le mois de la mode commence ce 6 septembre à New York, on a discuté diversité et inclusion avec Ashley B. Chew, mannequin et activiste fondatrice du mouvement Black Models Matter, littéralement : Les mannequins noirs comptent.

Si la place des minorités dans la mode est souvent résumée à celle des mannequins sur les podiums, notamment parce qu’ils sont la partie visible de l’iceberg, il n’en reste pas moins que la portée de leurs voix a pris une nouvelle ampleur ces dernières années. C’est d’ailleurs lors d’une Fashion Week, celle du printemps-été 2016, que New York a pris conscience – au travers d’une image devenue virale – de l’impact qu’ont celles et ceux qui défilent, et surtout, désormais, de ce qu’ils ont à dire.

« Black Models Matter » pouvait-on lire en cette journée de septembre 2015 sur le tote bag noir d’Ashley B. Chew, une jeune mannequin alors âgée de 24 ans, qui se rendait au casting d’une marque qui n’embauche jamais de mannequins noires pour ses défilés. Clic Clac, l’appareil photo d’une photographe de streetstyle immortalise le moment et voilà que l’image circule en masse sur les réseaux sociaux, déclenchant une nouvelle conversation sur l’inclusivité dans la mode.

2018 : un « Septembre noir »

Trois ans plus tard, en 2018, le milieu se félicite de son « Black September » : c’est alors la première fois qu’autant de femmes noires se retrouvent en couvertures des magazines. Après avoir entendu dire pendant des années que les personnes noires faisaient chuter les ventes des titres lorsqu’elles étaient en couverture, -le lecteur perçu, majoritairement blanc, ne s’identifiant qu’à des gens de sa couleur de peau-, plus de 10 titres reconnus dans la presse féminine osaient enfin le pari inverse. Beyoncé pour Vogue US, Rihanna pour Vogue UK, Tiffany Haddish pour Glamour US, Lupita Nyong’o pour Porter, Slick Woods pour Elle UK, Zendaya pour Marie Claire US ou encore Adwoa Aboah et Naomi Campbell pour Love magazine, Tracee Ellis Ross pour Elle Canada… L’événement est à marquer d’une croix sur le calendrier puisqu’en 2017, soit seulement un an auparavant, le site Fashionista comptabilisait… trois femmes noires en couverture des magazines de septembre. 

Alors que le mois de la mode commence ce 6 septembre 2019, nous avons rencontré d’Ashley B. Chew, artiste, mannequin et activiste et fondatrice du mouvement Black Models Matter. Les choses ont-elles changées depuis qu’elle a lancé son appel sur un tote bag ? Spoiler : l’industrie de la mode a encore du pain sur la planche.

Marie Claire : Depuis quand êtes-vous mannequin ?

Ashley B. Chew : Je suis mannequin depuis quelques années. J’ai commencé par des défilés dans l’industrie du mariage, sont ensuite venus les shootings pour de l’e-commerce et quelques défilés de mode dans l’Indiana. J’ai fini par déménagé à New York et, actuellement, je suis représentée par l’agence Crawford Models.

Votre couleur de peau a-t-elle été un « problème » dès vos débuts dans l’industrie de la mode ?

J’ai le teint très clair et je comprends parfaitement ce privilège. Mes pairs qui ont le teint plus foncé font sans doute face à un regard plus biaisé, voire hostile. Il fut un temps où les créateurs disaient : « nous avons assez de filles noires » et dans ce cas, avoir le teint clair ou foncé ne comptait de toute façon pas. Si vous êtes noires, ils disent qu’une ou deux filles c’est suffisant. À la Miami Swim Week il y a deux ans, c’est exactement ce qu’il s’est passé : tout un groupe de filles noires a été recalé pour cette raison. Elles avaient pourtant toutes une couleur de peau et une nationalité différente.  

On demande souvent aux modèles de couleur d’apporter leur propre maquillage

C’est un sujet dont vous parlez entre mannequins noires ? 

On a tendance à penser que les modèles sont atroces et méchantes les unes envers les autres. C’est faux. À New York, lorsque vous êtes une personne racisée, vous retrouvez vite vos pairs. C’est comme si nous étions tous de la famille. Bien sûr, nous discutons des absurdités qui se produisent dans notre métiers.

Par exemple, on demande souvent aux modèles de couleur d’apporter leur propre maquillage, nos carnations n’étant que peu compatibles avec les palettes des make-up artist. Concernant les cheveux, il y a eu des défilés où le coiffeur m’a simplement mouillé les cheveux avec de l’eau qui trainait sur le shooting pour leur donner une vague forme, ou encore des fois où ils ont été lissés sans utiliser de protection thermique. Certains coiffeurs ne m’ont juste pas coiffée et d’autres m’ont même clairement dit qu’ils avaient « peur de les toucher ». La plupart des mannequins noirs ont vécu au moins une fois l’une de ces situations.

Vous souvenez-vous du moment où la photo de vous avec votre sac sur lequel on pouvait lire « Black Models Matter » est devenue virale ?

Aujourd’hui encore j’ai du mal à croire que cette image a fait le tour du monde. Le streetstyle a toujours été une chose importante pendant la Fashion Week. J’avais déjà été publié dans quelques magazines, alors je me suis dit que je finirais juste sur un blog et c’est tout. Quand elle est devenu virale, j’ai pleuré dans un café pendant environ 2 heures !

En tant qu’artiste, j’ai toujours défendu les femmes noires. Me battre contre ce qui se passe dans l’industrie est pour le coup arrivé de manière accidentelle, non planifiée. Je ne savais pas à quel point ma voix était puissante à l’époque. Ça me semble toujours aussi fou aujourd’hui.

Si l’inclusion vous met mal à l’aise alors vous n’êtes pas une marque avec laquelle j’aimerais travailler.

Quel type de messages et commentaires avez-vous reçu à l’époque ? 

Jusqu’à ce jour, je n’ai reçu que des retours positifs, j’irai même jusqu’à dire une profusion d’amour. Au début, j’avais très peur que mon message soit perçu comme de la haine ou alors « anti-blanc ». Zac Posen, Bethann Hardison, Shaun Ross, June Ambrose, Ajak Deng, Iman et le CFDA ont tous publié le sac sur leur compte. Cela a fait parler les gens, cela a créé une sororité parmi les mannequins aussi. Ce n’était plus une fille qui essayait d’avoir une place. Il y a de la place pour nous toutes. Il existe de nombreux autres activistes mode qui ouvrent la voie en matière de diversité et d’inclusion. Une poignée d’entre nous peut être une voix pour tous.

Avez vous eu peur que votre activisme cela vous empêche d’être embauchée par des marques ?

À ce jour, beaucoup de mannequins ont peur de parler, craignant de perdre leur emploi. Je ne l’ai pas, je ne l’ai jamais eu. Si l’inclusion vous met mal à l’aise alors vous n’êtes pas une marque avec laquelle j’aimerais travailler.

Le mouvement est né en 2015, voyez-vous un changement depuis ce moment ?

Il y a eu des changements spectaculaires depuis le début du mouvement. Les podiums new-yorkais faisaient défilés moins de 10% de couleurs, sans distinction d’origine ethnique. Depuis deux saisons, soit un an, il y a au moins un ou plusieurs, voire uniquement des modèles de couleurs dans les défilés de la Fashion Week de New York. Je vais dans les castings et je vois tous les types de couleur de peau, de morphologie, d’âge et de taille. Il reste encore du travail à faire, mais c’est beau de voir les choses progresser !

Qu’avez-vous pensé du fameux « Septembre noir » en 2018 ? 

Il faut parler de représentation au sens large et pas seulement des mannequins. Le prochain styliste, designer, journaliste, réalisateur, présentateur tv pourrait être quelque part, inspiré par le fait de se voir dans les médias. Quant  au fait de voir des femmes de couleur en couverture de magazine, j’espère qu’on en verra au fil des mois, chaque année. 

Comment évolue le mouvement Black Models Matter aujourd’hui ? 

Aujourd’hui, Black Models Matter est toujours taggué par ou pour des modèles de couleur. On est actuellement à plus de 62 000 images sur Instagram. Je participe également à des panels et à des événements organisés par des institutions ou des particuliers. J’ai par exemple parlé pour un panel organisé par le New York Times mais aussi le musée d’art d’Indianapolis, le magazine Pattern ainsi qu’un autre à Lagos, au Nigeria. Même les maquilleurs et les nouveaux mannequins me demandent conseils ou la direction à suivre. C’est touchant et ça pousse à la responsabilité et à l’humilité, notamment lorsqu’on fait face à des parents de jeunes mannequins. J’insiste toujours sur le fait que malgré les problèmes de cette industrie, il reste des choses formidables à y construire !

Si vous ne pouvez pas maquiller toutes les peaux, pourquoi se donner la peine d’être maquilleuse ?

Actuellement, vous menez une action concernant le manque de maquillage approprié disponible pour les mannequins noires lors des défilés. Vous pouvez nous en parler ?

J’ai décidé de faire passer la conversation de « il faut nous inclure » à « il faut nous respecter ». L’inclusion n’est pas toujours une bonne inclusion, les personnes de couleur ne sont pas une tendance, pas un gadget. Il s’agit de veiller au respect, à l’éducation et à la communication. Cette saison, j’ai été inspiré par Mizani, une marque de soins capillaires qui a pris la décision de distribuer des packs de soins naturels aux modèles de couleur, sachant ce que nous vivons durant la Fashion Week. Je me suis associée à Pacifica Beauty, une marque de maquillage, pour faire exactement la même chose. Je voulais que mes pairs aient leur anti-cernes et leur fond de teint au cas où on leur demanderait d’apporter le leur, et c’est généralement le cas.

Cela prouve que les choses ne change pas si facilement…

Disons que les gens ne font pas tous correctement leur travail ! Si vous ne pouvez pas maquiller toutes les peaux, pourquoi vous donner la peine d’être maquilleuse ? Idem pour le coiffeur. Pourquoi venir en backstages des défilés à New York et dire que vous avez peur de toucher une chevelure afro ?

Le mois de la mode commence. Que voudriez-vous que les personne qui travaillent dans ce secteur sachent et fassent pour faire changer les choses ?

L’éducation est la clé ! Pour tout le monde. Plus vos connaissances de votre métier, du milieu dans lequel vous évoluez sont larges, meilleur vous serez dans votre profession. Et cela commence par s’éduquer soi-même, à tout âge !

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